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Combler le manque. Entretien avec Marc Pautrel

« Tout commence un jour de printemps » : ainsi débute le dernier roman de Marc Pautrel, histoire d’amour entre le narrateur – écrivain – et une femme pleine de secrets et d’histoires familiales. Le récit évolue vers un portrait de femme qui devient l’objet d’amour, mystérieux, lointain, mais séduisant, fascinant.
« Tout commence un jour de printemps » : ainsi débute le dernier roman de Marc Pautrel, histoire d’amour entre le narrateur – écrivain – et une femme pleine de secrets et d’histoires familiales. Le récit évolue vers un portrait de femme qui devient l’objet d’amour, mystérieux, lointain, mais séduisant, fascinant.

Velimir Mladenović : L’Éternel Printemps aborde l’amour comme seul et unique sens à l’existence humaine. Quels sont les auteurs qui vous ont inspiré ce récit ? 

Marc Pautrel : J’écris sans inspiration consciente, même si bien sûr mes lectures passées des auteurs classiques ou des auteurs contemporains agissent sur mon écriture. La relation entre lecture et écriture est très forte, on ne se met un jour à écrire que parce qu’on a auparavant lu, que parce qu’on a découvert que cette chose, la littérature, existait, que c’était possible, faisable, et extraordinaire. Pourquoi écrit-on un nouveau livre alors que la bibliothèque classique en est pleine ? Peut-être parce qu’on a l’impression que cette bibliothèque n’a d’intérêt que si elle est en croissance ininterrompue, et qu’on a aussi la sensation que c’est à soi d’y ajouter quelque chose. Il y a toujours un sentiment de nécessité à l’origine d’un roman, tant au commencement que quand il s’agit de continuer après la vingtième page, et ensuite d’achever, corriger et proposer à l’éditeur. On ressent le besoin d’écrire ça, il faut vraiment le faire, combler le manque, rétablir une sorte de justice dans la réalité. Cela étant dit, les auteurs classiques que je lis, et qui donc, probablement m’inspirent inconsciemment, s’appellent Proust, le duc de Saint-Simon, Kafka, Voltaire, Céline, Stendhal. Chez les contemporains, les auteurs que je lis avec le plus d’intérêt sont, par ordre alphabétique, Christine Angot, Jean Echenoz, Pierre Michon, Patrick Modiano, Philippe Sollers.

VM : Le personnage central de votre récit est, selon moi, une femme surréaliste, elle échappe au narrateur qui ne voit le monde qu’à travers elle. Êtes- vous d’accord avec mon interprétation ?

MP : Une femme surréaliste ? Oui, peut-être, dans son accès direct à la réalité, sans interprétation, prenant les choses comme elles viennent, les subissant parfois sans rien pouvoir faire pour les empêcher ou leur donner un sens. Et bien sûr, oui, elle échappe totalement au narrateur, elle le séduit mais ne s’offre jamais à lui et garde ses secrets pour elle, ne disant que très peu de choses, n’avouant jamais son attirance pour lui, sans qu’on sache vraiment pourquoi, la peur peut-être, ou l’embarras devant la différence d’âge inhabituelle dans la société actuelle : une femme avec un homme plus jeune. Elle ramène tout à elle, mais elle ne le fait pas par égocentrisme, juste par solitude et anxiété, en quelque sorte elle se recroqueville, elle se protège de tout, même de l’amour. Elle refuse clairement l’amour, elle le ressent mais ne veut pas se l’avouer, elle vit dans la crainte du futur et dans le souvenir de l’enfance, tout cela mêlé avec une joie incontestable et très belle, une forme d’euphorie, même. Elle est essentiellement double, janusienne : à la fois anxieuse et joyeuse, optimiste et pessimiste, voulant se projeter dans le futur et pourtant immobilisée dans le passé, comme un voilier figé par l’absence de vent. Elle attend la tempête de l’amour et en même temps elle la redoute plus que tout. Mais elle est aussi ce que le narrateur voit en elle : un futur permanent, comme il le raconte à peu près au milieu du livre : « une saison sans fin, un éternel printemps ». Le titre du livre est en quelque sorte le surnom que le narrateur donne à cette femme tout entière de potentialités : L’Éternel Printemps. Je dois préciser par ailleurs que ce titre, s’il vient spontanément à l’esprit du narrateur pour décrire cette femme, est aussi le nom d’une célèbre sculpture de Rodin représentant un couple d’amoureux enlacés.

VM : Je vois une similitude avec la vision du monde bretonienne : le besoin de la présence féminine dans la vie d’un homme, la femme comme seul objet d’amour possible. Votre récit serait-il une exception dans la littérature française contemporaine ?

MP : C’est un roman d’amour, un portrait de femme écrit par un narrateur amoureux. En cela, c’est peut-être une exception dans la littérature française contemporaine où l’art du portrait se perd un peu. Je ne relis pas mes livres précédents mais je crois que dans chaque roman, sous la trame narrative, j’ai composé des portraits, un peu à la façon de peintres comme Édouard Manet. J’ai essayé de laisser une trace en saisissant une sorte de couleur impossible et qui est propre à chaque corps. Mais pour en revenir à la littérature française contemporaine, il me semble qu’elle est en fait extrêmement diverse, contrairement à une idée parfois développée et qui verrait une littérature supposément nombriliste parce que d’autofiction, ou supposément sociologisante parce que de biofiction ou d’exofiction. Si vous songez par exemple aux livres d'Echenoz, Guyotat, Ernaux, Houellebecq, Quignard, vous voyez bien que d’abord aucun d’eux n’entre exactement dans ces cases auto-bio-exo-fictions, et ensuite que l’éventail des formes représentées est incroyablement large. Je ne me sens pas une exception, si ce n’est que tout artiste est par définition une exception. Quant à ce besoin de présence féminine dans la vie d’un homme, je ne sais pas si c’est toujours le cas dans mes livres. Je crois qu’il est possible pour un homme, ou une femme, de vivre sans amour, sans attachement à un autre corps, quel que soit le sexe de cet autre. La seule vraie nécessité, il me semble, est celle d’une distance, d’une profondeur que l’on puisse mettre devant soi, d’un horizon en quelque sorte. Ce pourra être une illusion, celle de la drogue, de l’alcool ou de la religion ; ce pourra être une quête, philosophique, poétique ou artistique ; ce pourra être une libération, celle du langage et du déplacement spatio-temporel qu’implique la lecture (et l’écriture, puisque lecture et écriture sont les deux faces d’un même disque). Tout ce qui compte, c’est qu’il y ait un autre point devant soi et qu’on puisse, pour parler de façon géométrique, relier ces deux points afin de tracer une droite, celle de sa vie personnelle. Pour résumer : les êtres vivants, pour l’écrivain que je suis, importent moins que les phrases que je pourrai encore et encore lire ou écrire, puisque écrire c’est encore lire, écrire c’est en quelque sorte être le premier à lire une phrase nouvelle mais pourtant déjà ancienne.

[Marc Pautrel est né en 1967. Il vit à Paris où il se consacre entièrement à l'écriture. Il a publié huit romans aux Éditions Gallimard dans la collection « L’Infini » : L'Homme pacifique (2009), Un voyage humain (2011), Polaire (2013), Orpheline (2014), Une jeunesse de Blaise Pascal (2016), La Sainte Réalité. Vie de Jean-Siméon Chardin (2017), La Vie princière (2018). Son dernier roman, L’Éternel Printemps, vient de paraître aux Éditions Gallimard.]

Velimir Mladenović

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