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La traversée des déserts

Article publié dans le n°1128 (16 mai 2015) de Quinzaines

Marco Macassola affectionne les titres surprenants. Celui du roman paru en France en 2011, "La Vie sexuelle des super-héros", n'est peut-être pas pour rien dans le grand succès qu'a rencontré le livre. "Les Désertés" ? Plus déroutant, car le terme est rarement utilisé comme substantif. L'explication de cette singularité se trouve sans doute dans le corps du texte.
Marco Macassola affectionne les titres surprenants. Celui du roman paru en France en 2011, "La Vie sexuelle des super-héros", n'est peut-être pas pour rien dans le grand succès qu'a rencontré le livre. "Les Désertés" ? Plus déroutant, car le terme est rarement utilisé comme substantif. L'explication de cette singularité se trouve sans doute dans le corps du texte.

Le narrateur, la trentaine, attaché de presse milanais, se retrouve sans travail et sans compagne. Dépressif, comme la plupart de ses congénères, il décide d’aller rejoindre son frère Rudy, moine dans une communauté chrétienne proche de Big Sur, en Californie. Une communauté peu ordinaire, où les moines font du surf et remplacent la bure par le bermuda. Ce séjour lui procure une certaine sérénité, mais n’est pas concluant. Le hasard décide à sa place, car son ami Danilo, plus profondément dépressif que lui, le rejoint pour partir à la recherche d’un chaman (découvert sur internet) qui vit dans le désert californien. Constamment sous tranquillisants, assortis d’alcool et inefficaces, cet autre Milanais, comédien, lui aussi lâché par son travail et sa femme, met tous ses espoirs dans ce guérisseur, et réussit, non sans mal, à convaincre son ami d’enfance de l’accompagner.

Ce voyage de quelques jours, sous une chaleur torride, est semé de surprises et de dangers. Arrêts dans les bars des rares oasis, escale chez un ancien moine de Big Sur qui s’est défroqué pour vivre avec un moine bouddhiste, une nuit d’horreur dans le désert… mais  la quête continue. « Nous avions traversé les trois déserts chauds d’Amérique du Nord. Que pouvait-on faire sinon traverser tous les déserts qu’on rencontrait ? Je n’arrivais pas à croire à la quantité d’erreurs que nous avions commises dans nos vies. Pour ne pas être écrasés par ces erreurs, nous ne pouvions que rouler droit devant nous. »  

Enfin, les deux camarades atteignent l’observatoire désaffecté où s’est réunie, autour du chaman Anselmo, une communauté d’un autre genre, qui n’est pas sans ressemblance avec les hippies, bien que l’une des adeptes précise qu’il n’en est rien et que leur forme de pensée remonte à des temps beaucoup plus anciens, immémoriaux. Les enfants courent librement dans le camp improvisé, les parents chantent en consommant du cactus, le chaman guérit hommes et animaux. Le tout sur fond de tambour. Tout le monde semble heureux, et plus particulièrement le narrateur, qui retrouve parmi les « fidèles » la jolie serveuse Aylen, précédemment rencontrée dans une station-service. Entre les mains du chaman, Danilo et son copain perdent conscience, entrent en transe et se sentent guéris. Lumière ! Les marasmes des Occidentaux sont miraculeusement dissipés.
 
Un happy end qui pourrait rendre le livre assez conventionnel. En réalité, ce n’est pas le chaman qui guérit le narrateur, mais Aylen, la jolie jeune fille « sang-mêlé », avec qui il décide de vivre. Un bébé s’annonce. L’ancien attaché de presse devient un jardinier heureux, il ne repartira pas à Milan. Pour lui, la quête a été positive. Quant à Danilo, le lecteur découvrira avec tristesse qu’il est bien loin d’être guéri.

Récit bref, mesuré, sans turbulences. Le style, fluide, est bien rendu par le traducteur qui transmet dans toute leur beauté les descriptions de paysages inhabituels, et trouve le ton juste pour les fréquentes conversations entre les deux amis.

Dans la plupart des romans italiens, français ou autres, décrivant la génération des trentenaires d’aujourd’hui, tous à la dérive, la seule issue possible est le cocktail drogue, alcool et sexe. Les « désertés », voyageurs du désert, désertés par le bonheur et l’idéal, cherchent, quant à eux, du côté de la spiritualité. Mais, si la religion traditionnelle est dépassée, les pratiques ancestrales plus ou moins magiques ne sont que temporairement efficaces. En fait, c’est l’amour, dans le sens général du terme, qui est le seul remède. « Comment se pouvait-il que je ne l’aie pas compris plus tôt ? C’était si simple que ça paraissait presque comique. L’amour existait, il n’avait jamais cessé d’exister, il circulait en nous et sous la réalité, même la plus corrompue. J’avais perdu beaucoup de temps à m’en croire privé. Beaucoup de temps à me juger coupable, empli de ressentiment ; à me sentir vide, desséché. J’étais presque mort de soif et j’avais toujours été à un mètre du fleuve. »

Il y a la patiente affection qui lie le narrateur à son ami Danilo, l’amour régénérateur d’Aylen, mais aussi l’amour pleinement assumé du moine chrétien pour le moine bouddhiste. Dans l’un des derniers chapitres du roman, on assiste à leur mariage. Les frères de la communauté de Big Sur sont présents et fêtent, avec toute l’assistance, ce joyeux événement.
Le roman a le mérite d’être tonique, il propose une solution « saine » : c’est l’amour qui sauvera le monde.
On peut toujours rêver.  

Monique Baccelli

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