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La vague des oiseaux migrateurs

Une façon d'entrer dans le dernier roman de Maryline Desbiolles : lire les titres des chapitres : « Les mimosas », « La bruyère blanche » « L'univers », « Rouge », et « Les oiseaux migrateurs », titre qui revient souvent, orientant peut-être notre lecture dans la direction que ces oiseaux suivent : du Nord vers le soleil du Sud.
Une façon d'entrer dans le dernier roman de Maryline Desbiolles : lire les titres des chapitres : « Les mimosas », « La bruyère blanche » « L'univers », « Rouge », et « Les oiseaux migrateurs », titre qui revient souvent, orientant peut-être notre lecture dans la direction que ces oiseaux suivent : du Nord vers le soleil du Sud.

Cette direction, le père de la narratrice l'a également suivie, quittant Ugine et sa noirceur, ou sa grisaille, pour Nice. Il avait vécu les « événements » d'Algérie et avait choisi le Sud contre la Savoie. La famille maternelle, les Verduschi, était restée en Savoie, y avait eu plusieurs enfants, dont certains sont morts, comme Primo et Jean-Claude. On rencontre aussi l'oncle René, alias Trompe-la-Mort pour son goût du risque, qui a épousé Odette Bertaina, fille d'une nombreuse famille, belle comme Silvana Mangano. La famille maternelle trouve ses origines en Toscane ; la grand-mère a accouché sous le fascisme à Turin, où a disparu Primo.

Ces quelques rappels ne sont pas inutiles. Marilyne Desbiolles ne dresse pas son arbre généalogique, trop rigoureux, lui préférant les mimosas et leur « flambée de fleurs plus que fragiles ». Mais elle délimite un territoire, aux confins de l'Italie, que l'on retrouve de roman en roman. Parfois, ce territoire est une portion de la région niçoise, la pointe de Conte où se déroulait Dans la route ; parfois Ugine et Nice sont mis en relation et le Piémont voisin est en arrière-plan, comme dans Primo, roman jumeau de Ceux qui reviennent. Ce précédent roman évoquait la disparition de Primo en 1936, et la mort de Jean-Claude à Annecy en 1945. Il racontait l'attentat perpétré contre le commerce familial à Ugine. On s'en prenait à un « rital », soupçonné de complicité avec les fascistes, et considéré comme un lâche. L'attentat trouve ici son auteur, un certain W, qui se sert de la Résistance et d'une étiquette de communiste pour faire chanter le grand-père Verduschi.

Ainsi, dans cet espace délimité, se déroule cette histoire, ou plus exactement ces histoires qui s'entremêlent, celles de la famille en Savoie, celle d'une époque - ­ celle de la Seconde Guerre mondiale héroïque, atroce et parfois médiocre, le passé donc et le présent puisqu'un autre mystère ­ - un fait divers - ­ suscite l'écriture autant que l'interrogation : la tuerie dite de Chevaline, près d'Ugine, d'une famille d'origine irakienne et d'un cycliste nommé Sylvain Mollier, dont la narratrice découvre la tombe.

Les tombes jouent un rôle non négligeable dans ce roman. La narratrice se rend souvent dans les cimetières, ne serait-ce que parce que son père vient de mourir et que cette absence est l'un des déclencheurs du récit. Mais aussi parce que deux dates, des noms de lieux et quelques formules suffisent à qui veut écrire. Dans les premières pages, la narratrice pense écrire l'histoire d'un inconnu, ou celle du premier venu. Et puis les tombes parlent davantage et surtout l'histoire familiale croise celle d'une époque. Maryline Desbiolles est cousine d'un certain Gaby Benevento. Jeune garçon, il a distribué de façon secrète des journaux communistes. Il est resté un militant communiste et a côtoyé les Barel, Virgile et Max. Aujourd'hui, cette identité de gauche s’est totalement perdue et l’enquête de la narratrice, sans expliquer pourquoi (cela, en gros, nous le savons), le met en lumière. Éclairer est souvent ce que permet cette écriture sinueuse, cherchant en apparence son chemin dans le labyrinthe du temps. On lit comme on flâne parmi les tombes, sous le soleil du Sud et le grand-père Verduschi tout comme les Barel gagnent à être ainsi contemplés.

Ce grand-père, loin d’être le lâche fasciste que W poursuivait de sa hargne, est un homme courageux. Il n’a pas craint, pendant la guerre, de porter à l’ombre les corps d’une vingtaine d’otages assassinés par les nazis. Ceux-ci l’ont obligé à ramener les cadavres au soleil. Comme beaucoup d’oiseaux migrateurs, venus d’Italie, de l’Espagne républicaine ou de l’Est et du centre de l’Europe soumis à la férule totalitaire et antisémite, il a connu les camps d’internement dans l’Ardèche, pas plus aimables que Gurs, Beaune-la-Rolande ou Les Milles. Barel a longtemps été député communiste à Nice après avoir participé aux actions de sabotage menées par les FTP. Max, son fils, a été arrêté et torturé à mort par les nazis.

Et puis il y a Odette Bertaina, à elle seule un personnage. Sa beauté, son goût immodéré pour tous les alcools, son élégance imperturbable (elle apparaît toujours coiffée et maquillée) fascinent la narratrice enfant. Elle entre dans sa légende, au même titre que les autres personnages évoqués. C’est en effet ce que l’on ressent à lire Maryline Desbiolles : le vrai prend des contours mythiques. Dans certains de ses romans, et par exemple dans Aïzan et Lampedusa (1), deux « romans jeunesse », la mythologie est présente, à la fois comme cadre et comme élément d’identification pour les personnages. Il en va de même ici : les Barel, la tante Odette, le grand-père Verduschi, voire l’ignoble W, tous entrent dans la mythologie de l’auteur, l’initient au monde, à ses apparences comme à sa réalité.

Ce roman est celui d’une réconciliation entre deux espaces, Ugine et Nice, qu’un très beau passage exprime : « Longtemps je me demandai comment rapprocher deux mondes qui me paraissaient aussi dissemblables. Longtemps je ne me sentis que du côté du sec, du blanc de chaux, de ciment, de l’éblouissement de la lumière, longtemps je méprisai la mousse, le sous-bois, les trolls et les fumées noires, je suis née du désir de s’en extraire et du remords de l’avoir fait. »

« Je cherche », écrit Maryline Desbiolles dès les premières pages « Je vais faire un tour dans le champ non loin de la maison », écrit-elle plus loin, en écho à un petit livre publié en 2010 (2). Les deux actions résument son entreprise. Elle cherche dans le mouvement, que ce soit celui de ses pas ou celui de la phrase, voire simplement celui du mot dont les résonances multiples ouvrent des voies imprévues. La romancière aime les digressions ; elle joue aussi de la rupture, de l’incidente, de l’apparent coq-à-l’âne. Ainsi apprend-on que, sur le point d’être assassinée, Rosa Luxembourg échangeait de sa prison des lettres avec Sonia Liebknecht. Elle y parlait essentiellement des bêtes, et parmi elles des oiseaux migrateurs, du « bonheur de s’endormir dans ses propres cheveux, de tourner la tête en eux, le bonheur de s’endormir dans l’épaisseur de ses cheveux, de laisser aller la tête dans leur nid, et de rejoindre la vague des oiseaux migrant la nuit ».

  1. Tous deux parus à L’École des loisirs.
  2. Je vais faire un tour, Créaphis éd.

Norbert Czarny

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