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Un roman japonais

Article publié dans le n°1021 (01 sept. 2010) de Quinzaines

 « Sentir battre en moi un cœur régulier » : tel est le souhait de Sarah, narratrice du roman d’Olivier Adam. Entre l’univers glacial dans lequel elle survit jusqu’au brutal décès de Nathan, son frère, et la fièvre qui animait ce dernier, l’héroïne cherche au Japon « un abri » : une forme de paix qui ne soit pas renoncement, oubli de ce qu’elle est, au fond. Et le roman raconte cette quête et reconquête de soi.
Olivier Adam
Le coeur régulier
 « Sentir battre en moi un cœur régulier » : tel est le souhait de Sarah, narratrice du roman d’Olivier Adam. Entre l’univers glacial dans lequel elle survit jusqu’au brutal décès de Nathan, son frère, et la fièvre qui animait ce dernier, l’héroïne cherche au Japon « un abri » : une forme de paix qui ne soit pas renoncement, oubli de ce qu’elle est, au fond. Et le roman raconte cette quête et reconquête de soi.

Le Cœur régulier est construit sur un va-et-vient entre présent et passé, entre deux espaces, une banlieue résidentielle, un bord de mer un peu sauvage au Japon, entre deux moments d’une existence. Il est rempli d’échos, de parallèles, tissé. Au tout début du roman, Sarah est tout près d’une falaise d’où tentent de se jeter des désespérés qu’un certain Natsumé Dombori, ex-policier, sauve parfois : « Il suffisait de contempler les lieux pour se faire une idée de leur état mental, de la dureté de leur douleur, du tranchant glacé du néant qui les rongeait. » État que Nathan connaissait. Sarah a besoin de comprendre ce que son presque jumeau avait découvert auprès de Natsumé, besoin aussi de se reposer et de se reconstruire, loin des siens, restés dans la région parisienne.

Sa famille, son passé, son lien avec Nathan, on les découvre par les retours en arrière. Alain, son mari, Romain et Anaïs, ses deux enfants, sont à tous égards loin d’elle. Elle a le sentiment de vivre en « colocation », dans une maison « gelée ». Plus rien ne la liait à son « gentil mari », qui ne rêve que d’une vie « haut de gamme », conforme aux modèles en vigueur dans notre société. Alain a tout du cadre parfait, trop même. S’il est un reproche que l’on peut adresser au romancier, c’est de confiner parfois à la caricature de l’homme de droite quand il dessine la silhouette de son personnage. Mais cet excès est heureusement compensé par le portrait pas toujours flatteur de Nathan, l’éternel révolté, buvant et fumant plus que de raison, instable, bavard et souvent confus, enchaînant les monologues sans craindre de brasser les idées reçues. Ce qui oppose, en profondeur, Alain et Nathan, ce ne sont pas des idées mais la place singulière que chacun occupe dans l’existence de Sarah. Alain est celui qui a incarné la raison, l’âge adulte, la réussite sociale qu’ils ont tôt partagée, à la fin des études. Olivier Adam sait, par un titre de chanson, un nom d’écrivain, une simple scène rendre une époque, distinguer des milieux. Sa peinture des étudiants de Dauphine, si sûrs de leur fait, de la réussite promise a quelque chose de féroce, férocement juste. Comme sonne juste l’évocation de la quasi-gémellité. Nathan représente en effet l’enfance, le lien si fort qui se crée entre frère et sœur, thème que l’on retrouve souvent dans l’œuvre d’Olivier Adam, et notamment dans Je vais bien ne t’en fais pas. Entre les deux enfants ou adolescents, c’est la sauvagerie de l’enfance qui régnait ; Nathan est son « homme des bois » : ils ont ensemble une capacité à rêver, à partager que rendent des séquences narratives pleines d’une poésie très simple et belle. Tous deux s’écartent du reste de la famille, des parents comme de Clara, la jeune sœur qui semble même durablement exclue de la relation. L’âge adulte éloigne en partie Nathan de Sarah. Incapable de s’adapter aux règles, Nathan vit dans un perpétuel chaos et quand il revient chez sa sœur, c’est pour y trouver refuge, aide. Sans faire la moindre concession.

La violence de son frère, et sa mort, seront cependant des révélateurs. Sarah apprend l’accident mortel lors d’un stage de motivation organisé au bord de l’Océan par les cadres de son entreprise. À partir de ce moment-là, tout se dérègle. Ou tout se règle, pour être exact. Sarah part au Japon et prend conscience de ce qu’elle menait une vie « peu à peu rognée, corrompue, viciée ».

Une autre thématique propre à l’œuvre d’Adam est celle de la quête de soi dans le vertige, jusqu’aux limites. C’était le cas dans À l’abri de rien, dans lequel Marie, l’héroïne, sacrifiait tout ce qu’elle avait pour venir en aide à des réfugiés, dans une sorte d’ascèse. Ici, Sarah accomplit un chemin semblable à travers ce séjour au Japon, auprès de quelques êtres fragiles, qui se tiennent, symboliquement, au bord du gouffre. Mais l’espace de Marie était clos, donné sans perspective, alors que celui dans lequel Sarah évolue semble dessiné, ouvert, comme une estampe offrant, dans ses contours, la possibilité d’une échappée. Marie était dans une posture religieuse ; Sarah est dans la sensualité. Elle marche « parmi les bambous, la mousse, les fougères, les singes endormis, les corbeaux muets ». Elle aime « par-dessus tout le contact des pierres chaudes et lisses sous [sa] paume, [ses] jambes déformées par l’eau transparente, plus blanches que jamais dans la clarté lunaire ». Pas de retour naïf ou niais à la nature, mais la « paix liquide ». On sent le romancier fasciné par ce que les éléments, et surtout l’eau peuvent donner à son écriture, et nul doute que les textes à venir en porteront la trace. Par opposition à ces descriptions qui sont autant de touches soigneusement posées dans le cadre, des énumérations sans virgule traduisent le malaise de la narratrice ou l’aspect figé de la relation avec Alain.

Si ce roman devait se définir à travers l’un des cinq sens, il serait tactile. Ce que cherche Sarah, c’est retrouver une sensation vraie (pour reprendre la belle expression de Peter Handke), échapper au froid, voire au gel. Les paroles des intervenants, du « compétiteur » comme de ses comparses lors du séminaire de motivation sont gelées, tout juste bonnes à être effacées par le bruit des vagues, au dehors. Les gestes d’Alain le sont, et le silence des parents, du père si solitaire de Sarah en particulier est synonyme de gel. La narratrice en prend tout à fait conscience quand son frère meurt : « Il me semble que je ne me retrouverai jamais, que je suis condamnée à errer loin de moi jusqu’à la fin des jours. » La rencontre de Midori, jeune mère qui a perdu son enfant et la raison, de Haruki, adolescent mutique qui ne parle qu’avec ses dessins, fait contraste avec ce qu’elle a vécu dans sa belle et froide demeure de banlieue. Sans parler de la relation si singulière qui l’unit à Natsumé, dépositaire des secrets de Nathan, et notamment de son enthousiasme retrouvé.

Olivier Adam a le plus souvent le ton juste, le regard à hauteur d’homme qui rend la lecture de ce roman comme des précédents si forte. Ainsi, on appréciera le portrait de Louise, dernière compagne de Nathan, dont la beauté contraste à la sophistication et à la fausseté d’Astrid, la chef de Sarah dans l’entreprise. Et dans les pages finales, qui sont comme le troisième mouvement d’une œuvre musicale pour quelques instruments, la réconciliation se produit, dans un troisième espace. Sarah a trouvé la paix dans le sud de la France, face à la mer : elle se laisse caresser par le soleil, jouit du silence, du temps qui passe, des saisons qui glissent. Ses enfants ne sont plus si loin d’elle.

Norbert Czarny

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