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A Rome, des peurs, des innocents

Trois récits (nouvelles, contes, fables ?) autonomes, présentant des personnages très différents dans des situations très différentes, mais qui n’en constituent pas moins un roman, parce qu’ils se passent tous à Rome et relèvent d’une même intention.
Marco Lodoli
Les prétendants
(P.O.L.)
Trois récits (nouvelles, contes, fables ?) autonomes, présentant des personnages très différents dans des situations très différentes, mais qui n’en constituent pas moins un roman, parce qu’ils se passent tous à Rome et relèvent d’une même intention.

Marco Lodoli, né en 1956, professeur de lettres, romancier déjà couronné par de nombreux prix, dont le Viareggio, assure dans la Repubblica une « chronique de société » portant sur la vie romaine ; mais dans une optique qui n’est ni politique ni économique. Ces articles, qui ne traitent pas non plus de vulgaires faits divers, ont été rassemblés sous le titre de Guide vagabond de Rome. Dans Les Prétendants le cadre est le même : Rome, et le point de départ le même : la réalité, mais une réalité dans laquelle se glissent, insensiblement ou brusquement, selon les cas, des éléments tout à fait irréels, surréels, que l’auteur sait rendre vraisemblables.

Dire que cette technique relève du réalisme magique, illustrée au début du XXe siècle par Bontempelli et Palazzeschi, pour ne citer qu’eux, ne serait qu’une approximation : Marco Lodoli a une voix qui n’appartient qu’à lui, et qui est difficile à définir.

Dès l’abord, le titre est énigmatique : Prétendants à quoi ? À la nuit, au vent, aux fleurs, comme semblerait l’indiquer le sous-titre ? En tout cas au contraire de ce à quoi prétendent la plupart de nos contemporains. Pouvoir et richesse sont exclus et les amours, presque désuètes, sont plus sentimentales que sexuelles. Par une tendance naturelle Lodoli est toujours à contre-courant. Ses personnages le sont aussi : Costantino, jeune Romain sans qualification, est employé par le « Fou », personnage tout-puissant et invisible, qui lui fait livrer d’étranges petits paquets à d’étranges personnages mais, comme le commissionnaire a tenté de comprendre, il est éliminé du circuit et chargé, toujours par le « Fou », d’entretenir l’immense et superbe jardin qui entoure sa belle demeure. Là, Costantino est heureux : innocent, il comprend la nature mieux que les hommes. Le « Fou » s’en rendant compte, lui confie tour à tour un merveilleux cheval, dont il doit peindre les sabots en or, un faucon dont il doit peindre les serres en or, et pour finir une très belle sirène que les invités ont jetée, au cours d’une réception quelque peu débridée, dans la piscine de l’immense jardin. Serena et Costantino s’aiment, évidemment, puis finissent d’étrange façon, dans les eaux boueuses du Tibre.

Luca, lui, n’est pas sans qualification mais il refuse de s’inscrire dans le cadre qu’on veut lui imposer. Au petit matin, après les plaisirs qu’offrent les nuits romaines, il ramasse une prostituée (cuissardes rouges et minijupe) qui vient de recevoir des coups de couteau. Il l’embarque dans sa voiture de sport et, arrivé chez lui, découvre que c’est… un Martien mourant. Un curieux assemblage fait du père avocat, de la bonne de l’avocat et d’un copain de bamboche de Luca, qui vont lutter, chacun à sa manière, pour sauver le Martien. C’est la plus drôle des trois nouvelles, qui n’en finit pas moins dans les eaux boueuses du Tibre.

Ludovico, quant à lui, était postier dans une petite ville de province. Un jour il reçoit une lettre lui disant qu’il doit écrire des poèmes et se rendre à Rome pour devenir directeur d’une revue poétique. Le postier quitte tout pour répondre à cet appel. Mais la porte de l’immeuble romain abritant la revue n’est jamais ouverte. Inaccessibilité de la poésie ? Toujours est-il que Ludovico s’inscrit rapidement dans un trio de sympathiques marginaux (accompagnés, comme il se doit d’une nuée de chiens), composé d’Aurelio qui a perdu une jambe à cause d’un chauffard qui s’est enfui, et qu’il ne cesse de rechercher, et de Morella, jeune cartomancienne sachant parfaitement qu’elle n’a aucun don, sinon celui de rendre les gens heureux. À commencer par Lucovico. Fantasque, elle chante, fume, dit la bonne aventure, aime passionnément Ludovico, peint à fresque les murs de son taudis, donne du sucre aux fourmis, arrose les mauvaises herbes de son jardin… et meurt aussi doucement qu’on s’endort. Ludovico, lui, se laisse aimer, se laisse vivre, et compose, en tout et pour tout deux très beaux poèmes. Au lecteur de découvrir si la porte de la revue s’ouvre enfin, et si la nouvelle s’achève, elle aussi, dans eaux boueuses du Tibre.

Les protagonistes, fussent-ils de milieux différents, sont des purs, des innocents au sens positif du terme. Des saints laïcs, des mystiques païens qui, sans le vouloir, donnent des leçons aux matérialistes que nous sommes. Et si tout est noirceur autour d’eux, ils semblent jouir d’un bonheur inexplicable. Le livre refermé, on comprend à quoi ils prétendent : Costantino aspire à la beauté (la sirène), Luca à l’au-delà (le Martien), Ludovico à la poésie, incarnée par Morella. Tous trois luttent contre la mort, celle de Serena et celle du Martien, ou pour la mort (celle du chauffard) réalisant, chacun à sa façon, ce à quoi visait l’auteur : relier le réel à la métaphysique, la vie à la mort, donc la terre au ciel.

Continuateur, par certains aspects, d’Elsa Morante, par d’autres du Pasolini « nocturne » Marco Lodoli s’affirme comme l’un des écrivains les plus prometteurs de la littérature italienne contemporaine.

Monique Baccelli

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