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Un général résistant du IIIe Reich

C’est chez le fabricant de pianos Bechstein qu’Adolf Hitler apprit « comment on tient son couteau à table », c’est chez lui aussi que Kurt von Hammerstein fit en 1925 la connaissance du même Hitler. Il sut dès l’abord à qui il avait affaire. 
Hans-Magnus Enzensberger
Hammerstein ou l'intransigeance, une histoire allemande
C’est chez le fabricant de pianos Bechstein qu’Adolf Hitler apprit « comment on tient son couteau à table », c’est chez lui aussi que Kurt von Hammerstein fit en 1925 la connaissance du même Hitler. Il sut dès l’abord à qui il avait affaire. 

Il le revit à plusieurs reprises, comme colonel et puis chef d’état-major de l’armée allemande déjà reconstituée, il entra en hésitation d’abord et bientôt en résistance ouverte, dès un dîner du 2 février 1933 auquel il fut contraint en tant que chef de la direction de l’armée de le recevoir. Déjà le 15 août 1932 il avait noté : « Désormais je peux à nouveau dormir tranquille, car je sais à présent que je puis éventuellement donner l’ordre à la troupe de tirer sur les nazis. »

Son opposition à Hitler étant patente, il dut démissionner en février 1934 et fut brièvement réengagé en tant que commandant d’une région militaire pour être renvoyé en septembre 1939.Tous ses collègues, sous peine de sanctions, avaient interdiction de lui rendre visite, ce qui ne l’empêcha en rien de faire partie de cette résistance militaire réelle, mais dont les plans et projets d’attentat, celui du 20 juillet 1944 inclus, échouèrent les uns après les autres, par impréparation et parce que personne n’était vraiment sûr de personne, à l’exception de ce cercle restreint autour de Hammerstein qui meurt d’ailleurs du cancer en avril 1943, ce qui lui a peut-être évité l’arrestation. Selon certaines sup­­­positions, il aurait préparé un attentat contre Hitler lors d’une visite de celui-ci au front mais qui n’eut pas lieu. Un témoin dit de lui (Ursula von Kardorff) : « Je n’ai guère connu personne qui fut aussi manifestement hostile au régime, sans aucune prudence, sans aucune crainte... il prédisait dès 1939 que nous perdrions la guerre. »

Ce livre de Hans-Magnus Enzensberger, Hammerstein ou l’intransigeance n’est pas une biographie, mais un montage d’entretiens, certains fictifs, d’autres réels, mêlés à des fragments historiques, à des lettres et des témoignages de source et d’origine diverses, des rapports du KGB et de nombreuses photographies, c’est une tentative de reconstitution du climat politique de l’époque. Comment à travers une famille de la haute aristocratie militaire arriver à faire saisir ce que put être la proximité avec le crime absolu, saisi au lieu même de sa décision. Selon un curieux et habile procédé d’emmêlement à la fois impressionniste et objectif de détails et de grands faits politiques, Enzensberger s’efforce de retrouver ce que pouvaient être les sentiments et les attitudes d’un milieu social au plus près du cœur même du crime.

Non seulement Kurt von Hammerstein incarne au mieux le milieu militaire aride et compassé prussien dont on aurait pu attendre qu’il soit hitlérien ou antisémite, comme toute cette aristocratie, mais il ne fut ni l’un ni l’autre. Il fut même proche des milieux militaires soviétiques, ce qui fut un court moment durant une option de la politique militaire nazie, bien avant 1940. On apprend ainsi que le maréchal Toukhatchevski exécuté en 1937 par Staline put en 1916 s’échapper du camp d’Ingolstadt, grâce à Charles de Gaulle. En 1929 Hammerstein eut même un long entretien avec le futur maréchal Vorochilov qui, de 1953 à 1960, fut président du Soviet suprême.

Hammerstein semble avoir été un père de famille indifférent et tolérant à la fois, il eut sept enfants dont deux filles, Helga et Marie-Luise furent très proches des milieux juifs berlinois en particulier de Gershom Scholem qui deviendra plus tard le grand spécialiste de la cabale. Comme l’écrit Enzensberger « à travers l’histoire de la famille Hammerstein on retrouve et l’on peut montrer, ramassés sur un très petit espace, toutes les contradictions et tous les thèmes décisifs de la catastrophe allemande... ».

Parmi ses enfants, Marie-Luise et Franz entrèrent très rapidement en résistance ; Franz fut déporté à Dachau, Marie-Luise devient communiste et vit ensuite en RDA. Le livre saisit les diverses étapes de l’installation de la terreur à travers, entre autres, la « Nuit des longs couteaux » et de ses effets sur les milieux aristocratiques, mais mêlés aux intellectuels de gauche et à l’opposition communiste d’avance démantelée. On voit à la fois la vie quotidienne, le mélange de banal et de sensationnel, mais le tout pris dans l’extraordinaire angoisse de cette époque. La plupart des protagonistes sont pris d’une sorte de gel intérieur et on ne peut éviter erreurs de jugement, hésitations ou aveuglements divers mais on sait aussi se montrer d’une clairvoyance et d’un courage extrêmes. Les événements entraînent les personnages de la tragédie.

Georges-Arthur Goldschmidt

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