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Un horizon quotidien

    Dès 1993 l’attention avait été attirée sur Hans-Ulrich Treichel à l’occasion du prix d’encouragement qui accompagne le prix de littérature de la ville de Brême, à l’occasion d’un récit à la fois mélancolique et drôle où son personnage qui lui ressemble fort, originaire de Westphalie de l’Est, région toujours présente dans ses livres, va à la découverte de lui-même d’abord à travers des aventures italiennes toujours cocasses, rien n’est comme on le suppose et les rencontres avec des psychanalystes bavards et incertains sont tout à fait drôles, ce petit livre intitulé Du corps et de l’âme, non traduit, semble-t-il à ce jour, contient déjà tous les motifs futurs de l’œuvre de Treichel.
    Dès 1993 l’attention avait été attirée sur Hans-Ulrich Treichel à l’occasion du prix d’encouragement qui accompagne le prix de littérature de la ville de Brême, à l’occasion d’un récit à la fois mélancolique et drôle où son personnage qui lui ressemble fort, originaire de Westphalie de l’Est, région toujours présente dans ses livres, va à la découverte de lui-même d’abord à travers des aventures italiennes toujours cocasses, rien n’est comme on le suppose et les rencontres avec des psychanalystes bavards et incertains sont tout à fait drôles, ce petit livre intitulé Du corps et de l’âme, non traduit, semble-t-il à ce jour, contient déjà tous les motifs futurs de l’œuvre de Treichel.

La thématique de cet auteur présente dès Vol humain et Le Disparu est celle  de la famille allemande dont celle décrite est comme une sorte de portrait-robot. Cette famille et surtout le narrateur est à la recherche du frère disparu lors de la fuite en 1945 devant l’avancée des troupes russes, toutes les régions au-delà de la fameuse frontière Oder-Neisse devinrent polonaises et l’Allemagne de l’Ouest, en ce temps-là divisée en trois zones d’occupation recueillit en quelques mois aux environs de dix millions de personnes « réfugiées ». Ce fut une donnée de base de la reconstruction de ce qui sera quatre ans plus tard la République fédérale. La prise de conscience de la dimension criminelle du nazisme sera beaucoup plus tardive.

Anatolin tout comme Le Disparu et Vol humain reprend pour la troisième fois l’obsession identitaire, à travers la recherche du frère disparu et jamais et toujours presque retrouvé. Le narrateur part de Berlin pour se rendre en train aux environs de Lviv (Lwov) en Ukraine et en Pologne retrouver les villages dont ses parents sont originaires. Les paysages traversés sont désolés et plat le village paternel Bryschtsche « une seule rue mal pavée » est plein d’animaux, mais le narrateur partout où il va, les hôtels chiches où il descend les maisons où il va ne cesse de traîner avec lui cette distance intérieure à la fois cartonneuse et mélancolique qu’il tente de meubler de souvenirs qu’il n’a pas : « J’étais dans le domaine des souvenirs, un homme démuni. Sans le moindre bien. Totalement dépourvu. Je ne pouvais pas m’installer dans mes souvenirs : il n’y avait rien de bon. Il n’y avait même pas quelque chose d’horrible ; ce n’était qu’un paysage plat, pluvieux et sans arbres, un paysage sans fin. » Anatolin, le village natal de la mère, n’est guère plus réjouissant.

Cette expédition est en réalité un prétexte pour tenter un retour sur ce passé qui ne revient pas si ce n’est par brides et dans le malaise. Ce n’est pas pour rien que Treichel fait référence au livre de Peter Weiss intitulé Adieu aux parents et qui est comme une sorte de fondement de la littérature autobiographique de langue allemande contemporaine : retrouver un passé effacé, aboli par une histoire monstrueuse qui n’a laissé que des souvenirs d’émigration. Expulsés et réexpulsés les parents du narrateur sont victimes d’une sorte de « dérèglement biographique » si bien que cette recherche des traces familiales est aussi celle d’une Allemagne au passé inintégrable et dont la pesanteur ne cesse pas.

Le père qui a perdu un bras était régisseur de domaine dans cette partie de la Pologne annexée par les nazis sous le nom de Warthegau, fait du mot Gau, c’est-à-dire district, mot ancien repris aux fins de propagande, ce qui rend tous les noms de lieux de cette région comme frappés d’une sorte de paralysie verbale et c’est bien celle-ci qui de façon très subtile constitue l’arrière-fond de l’œuvre de Treichel ; la langue qu’il emploie est toujours quelque part à distance comme isolée de ce qu’elle décrit. Mais avec ce troisième roman sur le même thème celui-ci risque un peu un certain affaiblissement. Tout se passe comme si le « morbus biographicus », la maladie autobiographique, finissait en effet dans une sorte d’absence à laquelle supplée la qualité d’une langue simple qui parvient à tout rendre visible.

Georges-Arthur Goldschmidt

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