Sur le même sujet

A lire aussi

Livre du même auteur

Une famille bien unie

    Quoi de plus banal qu’un roman centré sur l’adultère et la fin d’un couple : deux sujets, l’un découlant souvent de l’autre, qui alimentent les trois quarts des fictions littéraires et cinématographiques de notre temps. Qui plus est quand ces deux phénomènes sociaux se passent dans une famille très ordinaire. Or ces trois ingrédients sont présents dans le livre qui nous occupe.
Francesco Piccolo
Les tentations du mâle
    Quoi de plus banal qu’un roman centré sur l’adultère et la fin d’un couple : deux sujets, l’un découlant souvent de l’autre, qui alimentent les trois quarts des fictions littéraires et cinématographiques de notre temps. Qui plus est quand ces deux phénomènes sociaux se passent dans une famille très ordinaire. Or ces trois ingrédients sont présents dans le livre qui nous occupe.

Le narrateur, dont on ignore le nom, le prénom et jusqu’à l’aspect physique, mais dont on sait qu’il a la quarantaine et qu’il est monteur de films, est marié à Teresa, jolie, bonne mère et bonne épouse, travaillant, sans qu’on sache non plus dans quel domaine. Béatrice, leur fille, déjà très réfléchie, a environ quatre ans au début du roman. Un peu plus âgée elle dira, au soir d’un beau dimanche à la campagne : « On mène une vie merveilleuse, hein Papa ? » Tout tourne en effet parfaitement dans cette petite famille. « Ce que j’aimais par-dessus tout, c’était être avec Teresa et Béatrice. » À plusieurs reprises le narrateur affirme, avec une réelle sincérité, qu’il aime profondément sa femme, et sa fille lui est si chère qu’elle occupe tous les vides laissés par sa vie officielle… et secrète.

Car cet homme rangé, qui travaille avec conscience, rentre chez lui tous les soirs, passe ses week-ends en famille et se déplace peu pour sa profession, trouve le temps – et la force physique – de gérer, si l’on peut dire, un véritable harem. La première de ses maîtresses, Francesca est une collègue de laboratoire, dont les salles de montage vides facilitent la « baise ». Sa liaison avec Valeria, la meilleure amie de sa femme, dure depuis neuf ans, Monica rencontrée dans un bar, est abandonnée parce qu’elle « n’a pas de cul ». Quant à Silvia, architecte, il la rencontre très régulièrement dans de grands hôtels. Cristina et Alessandra sont en réserve. Cette liste fait aussitôt penser à Don Juan ou à Casanova. Mais en réalité le cas est très différent, et la qualité du livre vient précisément de l’analyse, objective, lucide, que X ne cesse de faire de son propre comportement. Première différence avec Don Juan (auquel il a la modestie de ne pas se comparer) : il n’a pas le goût de la collection, du tableau de chasse, il n’affiche ni ses conquêtes ni ses performances.

Deuxième différence, il ne lâche pas une fille, ou une femme, pour une autre. Il les garde toutes en même temps (y compris son épouse), parce qu’elles lui sont toutes nécessaires, sexuellement et affectivement : « Si j’aime Teresa, si j’aime Valeria et les autres, je les aime et basta. C’est pourquoi dans ma vie la polygamie est devenue une condition nécessaire. » Une condition qui exige une tactique savante : celle de la « quasi-vérité » (que le lecteur découvrira), le scrupuleux gommage des traces quand la baise (le mot revient si souvent dans le texte qu’on ne peut l’éviter) illégitime a eu lieu dans le lit conjugal, le trucage des adresses e-mail, la suppression imméditate des messages, etc., etc. : « une vie qui me plaît, me plaît tellement que j’affronte avec courage et complications ces intrigues ». Il ne cesse de dire qu’il est heureux et n’éprouve pas le moindre remord. Est-ce un monstre ou un mâle tout à fait normal ?  

Chacune des partenaires se croit-elle unique, on ne le sait pas, du reste aucune d’entre elles n’est possessive. Ce qui est certain c’est que Teresa semble tout ignorer de cette activité effrénée, et que la seule crainte du mari volage c’est de « se faire choper ». Ses amours parallèles sont à ses yeux une forme d’art. Aussi se complaît-il à décrire dans le détail, très crûment mais sans tomber dans l’obscénité, les multiples copulations, qui sont évidemment très différentes selon la partenaire : l’une a des tendances saphiques, l’autre favorise le fétichisme, une autre encore fait l’amour comme elle ferait la guerre, toutes les variantes sont représentées.

Mais X, se définissant lui-même comme « un obsédé sexuel qui n’est pas obsédé », est capable de porter un grand intérêt à d’autres choses, à sa profession, par exemple, et d’établir de subtils parallèles entre le fameux concept de « quasi-vérité » et le  montage d’un film, d’évoquer ses rapports avec les metteurs en scène, d’analyser quel est le rôle du monteur. Ce qui lui reste d’attention est dirigé sur sa fille : sa naissance a été un tournant dans sa vie et il ne cesse d’être émerveillé, intrigué, troublé, par l’éveil de l’intelligence et de la sensibilité de Béatrice. Peut-être aussi parce qu’il voit en elle la future femme. Toujours est-il qu’il est aussi bon père que bon époux. Mais la brillante petite fille est tout à coup prise d’un étrange tic. A-t-elle senti que leur vie n’est peut-être pas aussi merveilleuse qu’elle le croyait ? « De toute façon je sais que vous vous aimez plus. » En effet un beau jour la mère disparaît sans donner d’explications, mais, comme on le verra, ce n’est peut-être pas la découverte des infidélités de son mari qui justifie son acte. « Un soir je rentrerai à la maison et tout sera fini » prévoyait X, qui crâne un peu devant ce départ mais sait que son double jeu s’arrête là : sa vie officielle est brisée, et du coup sa vie secrète perd de son intérêt, il commence a en percevoir les inconvénients : « Jouer le rôle d’homme aventureux, c’est fatigant. » Fatigants aussi les tentatives de rapprochement, peu concluantes, avec Teresa et les efforts déployés pour que Béatrice ne lui échappe pas. À quarante ans les forces commencent à baisser, on aborde la courbe descendante : « Maintenant sont venus les jours sombres, insupportables, douloureux. »

L’adultère est aussi vieux que l’institution du mariage, ce qui est nouveau c’est qu’il n’est plus un « péché mortel ». Et c’est bien parce qu’il ne le ressent plus comme tel que X vit en toute sérénité dans la luxure et le mensonge. La déculpa­bilisation qu’a entraînée la libération sexuelle est-elle ou non un acquis pour notre société ? C’est la question que pose ce bon roman, dépassant ainsi la banalité du sujet.

Monique Baccelli

Vous aimerez aussi