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Les surprises du quotidien

Une fois de plus, Anne Weber, sa traductrice, permet au lecteur de pénétrer l’univers humain, si proche et si subtil, de Wilhelm Genazino, ce grand explorateur du quotidien.
Wilhelm Genazino
Une petite lumière dans le frigo
Une fois de plus, Anne Weber, sa traductrice, permet au lecteur de pénétrer l’univers humain, si proche et si subtil, de Wilhelm Genazino, ce grand explorateur du quotidien.

Dans ce récit intitulé Une petite lumière dans le frigo, le « je » héros de l’histoire, qui a une bonne situation (il est architecte), est pris entre deux femmes, sinon trois et se livre à un petit acte de grivèlerie, trouve une carte d’identité dans la rue, fait l’amour (assez souvent), va au supermarché, prend part à un enterrement, va dans une soirée ou veut acheter des rollmops et s’adonne à diverses autres activités. Tout est « normal » et pourtant rien ne l’est vraiment. Mais comme dans les récits précédents et en particulier Le Bonheur par des temps éloignés du bonheur, il règne un malaise, une indisposition constante.

C’est une mobilité particulière des perceptions multiples qui est peut-être la véritable trame de ce livre, leur champ s’accroît à la lecture sans qu’elles changent dans la durée. Le personnage doit, par exemple, partir en vacances avec sa femme et y renonce, à la seule pensée de l’attente à l’aéroport, partout il se surprend à exister et cela le remplit d’un incoercible malaise, d’une honte qui teint toute chose de cette mélancolie que l’on rencontre tout au long de l’œuvre de Wilhelm Genazino. « Je peux dire que la honte était la chose la plus délicate que je conservais en moi. L’idée me traversa que, de la même façon que je regardais maintenant de vieux chanteurs de variété, j’éprouverais un jour, en mourant, de la honte devant les gens qui me regarderaient, assis autour de mon lit. » La mélancolie est peut-être liée à l’idée de fuite ; tout ce qui est simple se déjante tout à coup, aucune chose n’est jamais ce qu’elle est censée être, rien ne va plus, les objets sont rétifs ; un constant décalage intérieur rend le personnage à la fois témoin de lui-même et incapable d’empêcher les choses de basculer. Le récit se déroule en un temps très bref, mais plein à ras bord de tout petits événements, sans cesse grossis. Le personnage de ce récit se laisse aller à toutes ces menues infra-pensées qui, à chaque instant, se croisent dans la tête de chacun, de multiples toutes petites impressions qui prennent de plus en plus d’importance, soulignées qu’elles sont par la présence très objectivement décrite du désir sexuel, fréquemment satisfait et dépeint avec précision et humour, par exemple à la fin du récit, mais aussi du plaisir très largement alimenté par l’onanisme qui compense les lacunes sentimentales.

Le narrateur ne cesse de se trouver sur son propre chemin, de s’encombrer de sa propre présence, saisi d’une sorte de petite folie intime qu’il s’agit de communiquer à autrui, d’exporter pour ne pas être seul à souffrir de l’impression de perdre pied et de sombrer dans le vide. En réalité, tout est tributaire de cette sorte d’événement initial, cette carte d’identité qu’il a trouvée avec son ami Michael, mort soudainement au début du récit. L’enterrement de celui-ci change tout, il est désormais le seul détenteur de la carte d’identité qui leur a déjà servi à faire des achats indus. Cela finit par le conduire en prison, où soudain sa perception se fait plus ordonnée, plus calme mais tout aussi objective ; ce que raconte Genazino est à tout instant « légitimé » par l’étonnante plausibilité de son récit, qui n’a jamais rien d’exorbitant ou d’extraordinaire. Tout ce qui arrive à son personnage, tout ce qu’il éprouve ou pense, pourrait être ou est peut-être même le fait de chaque lecteur.

Georges-Arthur Goldschmidt

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