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Une journée de Mai à Rome

Une romancière méthodique : douze personnages principaux, pas ou peu de seconds rôles. Tout se passe à Rome, dans « l’ère Bersluconi » en une seule journée, comme dans l’Ulysse de Joyce, mais une journée scandée par les 24 heures correspondant chacune à un chapitre. Dès les premières pages on sait que le roman s’achèvera sur un crime. Seul point d’interrogation, la journée sera-t-elle pour tous aussi « parfaite » que le titre l’indique ?
Melania G. Mazzucco
Un jour parfait
Une romancière méthodique : douze personnages principaux, pas ou peu de seconds rôles. Tout se passe à Rome, dans « l’ère Bersluconi » en une seule journée, comme dans l’Ulysse de Joyce, mais une journée scandée par les 24 heures correspondant chacune à un chapitre. Dès les premières pages on sait que le roman s’achèvera sur un crime. Seul point d’interrogation, la journée sera-t-elle pour tous aussi « parfaite » que le titre l’indique ?

Au départ, des éléments qui semblent indépendants les uns des autres. Deux familles antithétiques : celle de l’avocat / député Elio Fioranvanti, servilement ambitieux, marié à Maja, mondaine moins superficielle qu’elle ne paraît, leur fille Camilla, « timide et bizarre, fantastique et gentille », âgée de 6 ans. Ils habitent aux Parioli, le quartier chic de Rome. La famille d’Antonio Buonocore, policier d’élite, séparé d’Emma, chanteuse ratée vivant de petits boulots, mère de Valentina, 14 ans et Kevin, 6 ans. Tous trois habitent désormais à l’étroit chez Olimpia, la mère d’Emma, ancienne concierge stupide et agressive. Alessandro Solari, qui se fait appeler Sasha, professeur d’italien et amant de Dario, animateur d’une émission très populaire à la télévision, marié et menant donc une double vie. Aris, étudiant en droit, punk et anarchiste dit « Zéro », il vient de mettre une bombe qui a transformé un Mac Donald en tas de pierres. Au fil des pages on découvre que ces individus, astucieusement choisis pour représenter des classes significatives de la société italienne, ont bien des points communs. Antonio Buonocore est le garde du corps du député Fioravanti, Camilla est à la maternelle avec Kewin, Aris est le fils d’un premier mariage d’Elio Fioravanti, Olimpia se délecte en regardant « Mister vérité » l’émission de Dario.

Les 24 heures d’une journée de mai à Rome nous permettent de suivre ces personnages dans leurs activités quotidiennes, plus ou moins banales. De nombreux flash-back achèvent de leur donner du corps, et c’est à travers eux que la romancière réussit à cerner certaines caractéristiques de la société italienne d’aujourd’hui : aspect politique, mondain, petit-bourgeois, marginal, mais aussi le sport, la télévision, la jeunesse rebelle, les évasions à la plage, l’armée, les mœurs propres à la capitale, etc. Un meeting où Elio se met en quatre pour recueillir les voix qui devraient le réélire député, donne lieu à une impitoyable satire des milieux politiques, le grandiose anniversaire de la petite Camilla à une charge tout aussi impitoyable des milieux aisés, et plus particulièrement de leurs représentantes féminines, la petite vie douillette de Sasha répond aux stéréotypes réservés aux homosexuels mais elle prête au rire plus qu’à la critique. En fait, seul Aris, le fils transfuge et révolté qui, lui, semble voir clair, éveille réellement la sympathie. En marge de ces évocations féroces on voit se tramer ce qui conduira Antonio, le flic d’élite, à tuer les enfants qu’il aime, puis à se supprimer : un grand amour détruit par l’usure du temps, l’absence d’explications franches entre les conjoints sont les antécédents, bien analysés, du crime annoncé.

La romancière est non seulement méthodique (ce qui lui permet de bien construire son roman) mais elle aime entrer dans le détail et vise même l’exhaustivité. Les perruches mondaines qui assistent à l’anniversaire de Camilla, voulant aider Maja, sa mère, à trouver ce que l’on appelait autrefois une bonne, sortent tous les lieux communs dépréciatifs qui pèsent sur chaque race (toutes, sans exception, sont passées en revue) susceptible de fournir ces esclaves modernes. En fin de compte, seule la Philippine est supportable : elle ne sent pas mauvais et apprend assez vite l’italien. Le regard de la romancière est aigu et nécessairement cruel. Dans la scène ou Sasha achète une montre pour son amant, elle s’amuse sans aucun doute à énumérer toutes les marques, mais c’est aussi pour fustiger les excès de notre société de consommation. Une société où en fin de compte personne n’est vraiment heureux, pas plus les riches que les pauvres. Pour aucun des protagonistes la journée ne sera « parfaite ». Cette vision pessimiste est atténuée par l’inépuisable charme de Rome, que la trépidante vie moderne n’arrive pas à détruire. La belle journée de mai nous la montre sous tous les éclairages qui varient d’heure en heure. « Mais qu’est-ce que Rome au juste ? Rome se fait aimer exactement comme une femme, parce qu’elle te plaît, parce que tu es bien en sa compagnie, parce qu’elle te comprend, t’accueille et te répond. Parce que malgré ses défauts et les manques qui la rendent irrégulière, sa beauté, cette beauté dépasse à tes yeux toutes les autres. »

Un roman que l’on pourrait situer dans la lignée du néo-réalisme, et qui constitue de ce fait un véritable document socio-historique. Très visuel en outre, puisque Melania Mazzucco dispense aussi son talent dans le domaine du cinéma. Mais il fonctionne malgré tout comme un « polar » et comporte un suspens, car tout en connaissant dès le départ la tragique issue, on ne découvre que peu à peu les circonstances qui la provoquent, et on continue d’espérer que quelque chose viendra enrayer le fatal mécanisme.

Monique Baccelli

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