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Jean-Pierre Richard, pêle-mêle

Article publié dans le n°1009 (16 févr. 2010) de Quinzaines

Un livre de Jean-Pierre Richard apporte toujours une fraîcheur salutaire. Comme une invitation renouvelée à lire avec autant d’alacrité que de profondeur, dans un rapport de sympathie active. Tel est ce Pêle-mêle qu’il vient de faire paraître, sous un titre qui annonce un désordre assumé. 
Un livre de Jean-Pierre Richard apporte toujours une fraîcheur salutaire. Comme une invitation renouvelée à lire avec autant d’alacrité que de profondeur, dans un rapport de sympathie active. Tel est ce Pêle-mêle qu’il vient de faire paraître, sous un titre qui annonce un désordre assumé. 

Jean-Pierre Richard y a groupé des études déjà parues en revues (notamment sur Bonnefoy, Follain, Claudel, Bosco), et des inédits : réflexion sur le chant du rossignol, et commentaires de divers textes de Gérard Macé, Jean-Henri Fabre, Michel Jullien, Stéphane Audeguy (qui fournit l’occasion d’évoquer Roland Barthes, Fred Astaire, et même Zinedine Zidane…).

« Une fête de l’intellect » : tel devait être selon Valéry un beau poème. On serait tenté d’appliquer cette ambition à Jean-Pierre Richard, qui n’a guère son pareil pour associer jouissance et connaissance, analyse qui décompose les textes, et recompose constamment ce qu’elle sépare. Lorsqu’il évoque « la petite jubilation érotico-linguistique de Ronsard », on se demande si ce n’est pas la finalité ultime de l’acte critique qu’il met ainsi en abîme. Car tout se joue en permanence dans la lettre même du texte : Richard relève non seulement les continuités lexicales, comme nous y a habitués la critique thématique, mais encore les séries sonores, assonances et allitérations, tel un interprète faisant ressortir une harmonie sous-jacente dans une partition. Citant une phrase de Senancour, il y savoure « la pulpe allitérative d’un bouquet de consonnes choisies ». Quel critique de renom serait capable aujourd’hui d’une telle humilité contagieuse dans la saisie d’une jouissance de la langue ?

Cet hédonisme critique s’adosse en permanence aux présupposés de la démarche thématique. Dans le sillage de Bachelard, il s’agit presque toujours d’appréhender dans les textes les mouvements d’une « rêverie », le travail d’une « imagination » à la fois fondatrice et métamorphosante, constamment tissée dans le sensible : la réflexion critique se place dans une zone intermédiaire où l’inconscient de l’écrivain remonte à la surface et rencontre, dans la langue, la chair du monde. Rencontre presque toujours définie comme originaire, permettant de faire aisément l’économie de l’histoire littéraire, disposée dans les marges de la réflexion critique. Il y a naturellement de la ruse dans cette feinte immédiateté de lecture : de brefs rappels des connaissances préalables supposées connues (« On sait l’importance chez Follain… ») renvoient à une somme de savoirs, reconnus certes comme utiles, mais provisoirement congédiés dans une démarche de lecture active.

Le travail de Richard se donne ici en effet comme une herméneutique sensible, sans les pesantes ambitions de la théorie littéraire. La séduction y a sa part, et déjà dans cette façon de s’adresser au lecteur, de le convier à l’équivalent d’une « causerie » littéraire (dans le sillage de Sainte-Beuve…) ; de même le critique marque-t-il fréquemment l’incertitude non magistrale de sa lecture par un opportun « semble-t-il ». Modestie autant jouée que réelle, tant est maîtrisée la démarche. Ici plus que jamais elle semble relever de l’art de l’anamorphose : en se déplaçant par rapport aux repères habituels du texte (auteur, sujet, composition…), le critique déroute en permanence son lecteur, le séduit en déplaçant son regard. Et l’écriture procède elle aussi par déplacements, multipliant les métonymies et hypallages : l’« absolu rocheux » chez Bonnefoy, l’« issue poissonneuse » chez Follain, autant de figures de ce glissando généralisé qui effectue de constants transferts par voisinage, synesthésies, passages de l’adjectif au substantif, renversement de l’abstrait au concret.

Le registre habituellement spatial du « paysage » – catégorie critique tirée de Proust – semble ainsi à présent s’infléchir chez Richard vers le paradigme musical. Manifeste dans l’« ouverture » du livre, variation inspirée sur « un chant d’oiseau », il se rejoue en permanence dans le motif dynamique et réversible du lié et du délié. Richard évoque ainsi la « déliaison » chez Jean Follain, la « reliaison signifiante » chez Christophe Pradeau, comme la tension, chez Bonnefoy, « entre le courbé (la qualité formelle) et l’informité ouverte ». Le chant du rossignol donne la clé (musicale et existentielle) de cette dualité, dans une belle citation d’Alain : il est « le pouvoir de chanter hors de soi, et comme de sculpter dans le silence autour ». Il est, reprend Richard, une « voix, lancée au milieu d’un monde pêle-mêle » – autant dire, dans un recueil qui affiche ce titre, l’équivalent de la parole critique.

Daniel Bergez

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