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La beauté est souvent un parfum

En de longs millénaires (le plus souvent pénibles et rudes), par l’intelligence et l’imagination des humains et pour les rendre moins malheureux, la beauté s’invente, se métamorphose, se déplace ; elle modifie les espaces, les corps, les sensualités nouvelles, les peaux imprévisibles (1).
Collectif
100 000 ans de beauté
En de longs millénaires (le plus souvent pénibles et rudes), par l’intelligence et l’imagination des humains et pour les rendre moins malheureux, la beauté s’invente, se métamorphose, se déplace ; elle modifie les espaces, les corps, les sensualités nouvelles, les peaux imprévisibles (1).

Le premier volume de cette publication s’intitule : Préhistoire/Fondations ; dans nos grottes archaïques, la beauté s’échafaude, se lance ; elle grave des motifs géométriques ; elle peint les allures des animaux ; elle collectionne des coquillages percés et enduits d’ocre ; elle vénère les « Vénus » fécondes. Le deuxième volume (Antiquité/Civilisations) propose les diverses recherches de la beauté à travers les continents. Dans le troisième volume (Âge classique/Confrontations), la beauté se construit et s’aventure. Dans le quatrième volume (Modernité/Globalisations), la beauté d’aujourd’hui se métisse, utilise la pétrochimie ; elle agrandit les yeux et entrouve les bouches souriantes dans les films et vidéos. Le cinquième volume (Futur/Projections) propose des fantasmes nomades, des fictions, les distorsions rêvées du corps, les désirs de convenance et ceux de dissonance, une sensualité généralisée ; la beauté imagine, dans l’avenir, les corps qui jouissent au-delà des limites du sexe et de l’âge.

Interviennent plus de 300 auteurs de 35 nationalités : anthropologues, archéologues, artistes, chimistes, conservateurs de musées, critiques d’art, écrivains, ethnologues, historiens, journalistes, médecins, paléontologues, philosophes, préhistoriens, psychiatres, sociologues. L’étrange coffret-pyramide pèse 5 kilogrammes.

À travers les siècles, la beauté est souvent un parfum. Dans un banquet funéraire de l’Égypte ancienne, les jeunes femmes hument le parfum d’une mandragore et d’une fleur de lotus, tandis qu’elles jouent du luth et de la harpe. Selon le rituel de l’embaumement, le défunt devient un « Parfumé » en une deuxième vie. Pour les vivants et les morts de l’Égypte ancienne, les parfums se composent de souchet, fleurs de genêt, joncs et roseaux odorants, résine de térébinthe, myrrhe, miel, vin d’oasis, baies de genièvre ; la peau est frottée d’onguents, maquillée d’une poudre de gypse parfumée… Pour séduire Zeus, Héra oint son corps d’une huile parfumée. Selon Théophraste, chez les Grecs, les hommes auraient aimé le parfum au lys et les femmes auraient choisi le parfum à la marjolaine douce et au nard indien… Selon Pline, les Romains « aiment à être non pas humectés, mais enduits ». Dans la Maison Dorée de Néron, les pétales de roses et les essences rares pleuvent des plafonds. Les Romains parfument tout : l’eau des bains, les vêtements, les chaussures, les vins, les chiens, les chevaux. À Pompéi, une fresque de la maison des Vettii montre les petits Amours qui sont des pharmaciens ailés et s’activent autour des balances, des mortiers, des chaudrons pour la beauté et la santé… Dans l’Inde ancienne, les onguents odoriférants (à base de musc, de santal ou de camphre) embellissent et apaisent ; ils atténuent la chaleur de l’été… En Chine, sous les Tang, les femmes raffinées se meuvent dans un sillage d’odeurs : le jasmin, le patchouli ou le santal… Chez les Arabes, on se parfume selon les saisons : le musc, la civette, l’ambre, le jasmin en hiver ; au printemps, la fleur d’oranger, le narcisse, le basilic ; en été, le myrte, l’eau de rose ; en automne, le jasmin, la mélisse. Selon une tradition, le Prophète aurait interdit l’entrée de la mosquée à ceux qui sentaient l’ail… Dans l’Empire monghol, l’empereur Akbar (XVIsiècle) fabrique lui-même ses parfums… Dans la France des XVIIe et XVIIIsiècles, les parfums luttent contre la cacophonie des mauvaises odeurs. Grâce à l’Eau de la Reine de Hongrie, la Belle au bois dormant se réveille. Au début du XVIIIsiècle, le parfumeur Paul Féminis crée l’Eau de Cologne… Certains parfumeurs privilégient les notes légères de la polyphonie olfactive : la lavande, le thym, la sauge, le romarin, la marjolaine, le citron, la bergamote, le cédrat…

Parfois, la beauté met en évidence certaines zones du corps féminin selon des cultures différentes, selon les époques diverses, selon les goûts changeants, selon les styles variés. Par exemple, les « Vénus » de la Préhistoire ont des seins et des fesses très développés… Agnès Sorel (XVsiècle), favorite de Charles VII, aime les robes « aux ouvertures par-devant par lesquelles on voit les tétons »… Au XIIIsiècle, on admire les seins « petits comme deux grosses noix » d’une très jeune femme… Certaines ethnies d’Afrique choisissent les seins volumineux et fermes des femmes ; d’autres (comme les Zande du Congo-Kinshasa) préfèrent les seins ballants. Et les jeunes filles zande étirent leurs seins…

Ou bien, la beauté japonaise est le dos d’une femme entrevue, la nuque poudrée de la « belle qui se retourne ». Dans leurs kimonos colorés, les femmes se muent en fleurs… À tel moment, les habitants de Tokyo choisissent les nuances délicates des tissus subtils et discrets, les « quarante-huit bruns » et les « cent gris »…

Ou encore, la beauté est un sourire de la France du XVIIIe siècle, lorsqu’on publie en 1728 Le Chirurgien-Dentiste, ou Traité des Dents. Et dans son Autoportrait (1787), Élisabeth-Louise Vigée-Lebrun peint sa bouche entrouverte qui révèle ses dents blanches… Ou bien, au XXe siècle, dans les films, Marlène Dietrich, Audrey Hepburn ou Rita Hayworth fument une cigarette mélancolique en un sourire ironique et séducteur…

Aujourd’hui, au XXIsiècle, les sociologues, les écrivains de science-fiction, les artiste suggèrent l’avenir de la beauté contradictoire, impensée, qui émeut. Sans cesse, les corps se construisent, s’autofabriquent, se déconstruisent. Nomades, les corps errent, s’égarent, se perdent dans les villes voraces et tentaculaires ; ils caracolent dans les jardins suspendus. Les identités seraient alternatives, mouvantes, mutantes, plurielles. Une artiste japonaise s’interroge : « Combien suis-je ? »… Ou aussi, un artiste allemand « applique des tatouages polynésiens traditionnels sur des radiographies de son corps » pour être tatoué sur l’os. Il devient polynésien jusqu’à l’os…

Et la beauté est toujours une souveraineté périlleuse, une puissance flottante, une fulguration.

1. L’ouvrage 100 000 ans de beauté a été réalisé avec le soutien et la participation de la Fondation d’entreprise L’Oréal.

Gilbert Lascault

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