Sur le même sujet

A lire aussi

Livres des mêmes auteurs

Les divinités du riz, un luth-navire, et les fétiches magiques

Article publié dans le n°1083 (01 mai 2013) de Quinzaines

Archipel de l’Insulinde, les Philippines s’étendent sur 300 000 km2. Elles comptent quelque 7 000 îles et s’étirent sur près de 1 700 km. Elles forment des territoires d’échanges, de commerces, de trocs, de permutations, d’offres et de demandes, de dons, de rivalités.
Anthologie
Philippines : archipel des échanges. Catalogue de l'exposition (Musée du Quai Branly Actes Sud)
Collectif
Philippines : archipel des échanges. Hors série de l'exposition (Tribal Art magazine, Belgique)
Archipel de l’Insulinde, les Philippines s’étendent sur 300 000 km2. Elles comptent quelque 7 000 îles et s’étirent sur près de 1 700 km. Elles forment des territoires d’échanges, de commerces, de trocs, de permutations, d’offres et de demandes, de dons, de rivalités.

Les Philippines comportent quatre-vingts langues, des croyances différentes, des styles de vie divers, de multiples mythes et rites, des traditions hétérogènes, les mœurs et les coutumes opposées, des règles autres, la pluralité de créations artistiques et de formes disparates.

Dans cette exposition diversifiée et fascinante du musée du quai Branly, tu découvres, entre autres, les costumes (décorés d’applications de perles colorées selon des motifs géométriques), les vanneries, les boucliers de guerre, les haches, les kriss aigus, l’éclat de l’or des poignées d’épées royales (Xe-XIVe s.), une tenture rouge (avec des plantes symétriques), des jarres funéraires (VIIe-IXe s.), les hautes sculptures puissantes des divinités du riz, les boucles d’oreilles (que portent les hommes et les femmes), les boîtes et les fétiches des maîtres des rites (les mumbaki), les bateaux-tombes des nomades de la mer (les Sama Dilaut), un luth-navire très ciselé, des grandes cuillers (avec personnages), des coupes, des gongs, des éléments d’architecture… L’expo­sition ne se veut pas un inventaire, ni un dénombrement, ni une brocante, ni un chaos. Elle propose des « choses » émouvantes qui donnent à penser, à rêver.

Le livre-catalogue, complexe et très utile, informé, intelligent, est dirigé par Constance de Monbrison (responsable des collections « Insulinde » au musée du quai Branly) et Corazon S. Alvina (anthropologue et ancienne directrice du National Museum of the Philippines). Des histoires, des archéologues, des ethnologues, des conservateurs de musée, un linguiste, un dramaturge, un artiste écrivent des textes très divers.

Au cœur des Hautes Montagnes de Luçon, les Ifugao possèdent un panthéon de nombreux dieux, en particulier les divinités du riz qui s’appellent les b­ulul. Les Ifugao sculptent les bulul massifs, denses, austères, puissants. Nus, dépouillés, sereins, les bulul s’imposent, debout ou assis. Ils sont des forces de fécondité. Leurs formes sont compactes, ramassées. Ils manifestent de l’énergie. Ils se situent loin de toute psychologie. Ils sont graves. Les sculpteurs entament le bois à la gouge et à la plane par minces copeaux. Les formes sont lentement dégagées du bloc. La plupart du temps, les bulul demeurent dans les silos, dans les greniers ; puis ils sortent pour les cérémonies. Les bulul sont souvent des couples. Chez les Ifugao, le féminin et le masculin collaborent. Les hommes construisent et entretiennent les murets de pierre des rizières en terrasses et les femmes plantent.

Les maîtres des rituels, les mumbaki, soignent les malades, interprètent les rêves, décident selon le calendrier agraire ; ils autorisent les chasses selon des règles. Ils contrôlent les boîtes rituelles qui contiennent des soies de cochon, des plumes de poulet, des graines, des gerbes de riz, des noix d’arec, des crânes et des os d’oiseaux, de petits bâtonnets qui comptent le nombre de cochons échangés contre les champs… Assez rarement, les mumbaki pratiquent la magie noire des rites de vengeance. Tel fétiche de vengeance comporte le bois, le rotin, une tête de crocodile, des serres d’aigle, des lames de couteaux. Existent souvent aussi des amulettes personnelles pour mieux réussir dans le commerce, en amour, pour se protéger du mauvais œil.

Passent les guerriers admirés. À la fin du xixe siècle, la chasse aux têtes est interdite. Chaque guerrier a son bouclier, une lame, des javelots en bambou aiguisés. Il porte un foulard rouge : « Plus le foulard était foncé, plus cela signifiait qu’il avait ramené plus de têtes. » Comme pour une fête, ils se parent de boucles d’oreilles, de colliers en dents de sanglier ou de crocodile, en pierres précieuse ou semi-précieuse, de brassards hérissés. Ils se parent pour la mort et pour la victoire…

À la fin du XIVe siècle, les marchands-prédicateurs (chinois, indiens, malais) diffusent l’islam. Au sud des Philippines, les sultanats (Mindanao et Sulu) rayonnent. Les sculptures, les tissages, les armes ciselées donnent à voir des arabesques savantes, les géométries, les plantes vives, les arbres de vie, les boutons de fleurs, les oiseaux stylisés, les mandala (venus du bouddhisme), des triangles isocèles. Aujourd’hui, les sultanats n’existent plus. Mais les œuvres sont modifiées par les croyances et les rites de l’islam… Le buraq est un cheval ailé avec un visage humain ; Mahomet a chevauché le buraq et a traversé sept cieux. Le buraq est sculpté (XXe s.).

Dans les Philippines, dans une grotte, au nord de Luçon, la présence humaine (un os) se révèle vers 50000 av. J.-C. Plus tard, des agriculteurs introduisent dans certaines îles les chiens, les cochons, les poulets ; ils fabriquent des poteries, des étoffes d’écorce, des tissages, des bateaux (4000-2000 av. J.-C.). Sur le couvercle d’une jarre funéraire (v. 800 av. J.-C.), deux personnages s’installent sur une « barque de l’au-delà »…

Le commerce maritime se développe (IXe-XVIe s.). La Chine importe le benjoin, le camphre, la cardamome, les clous de girofle, la noix muscade, la cire, les carapaces de tortue, le bois, les perles. La Chine exporte la soie, des céramiques, les aiguilles, les lames, les chaudrons, les barres de fer, les gongs, les miroirs en bronze. Arrivent, aussi, des faïences et des verres produits par les Persans et les Arabes ; ils se trouvent dans des ports-entrepôts… Dans l’archipel, en Chine, en Inde, ailleurs, les objets, les matériaux, les techniques, les formes se déplacent, circulent… Tout s’achète ; tout se vend : les trocs, les trafics…

Et, sans cesse, les Philippins sont, en partie, des vanniers perpétuels et habiles. Ils emploient les plantes grimpantes, le rotin, les joncs. Ils tressent des brins. Ils créent des nattes, des capes de pluie, les hottes de portage, les sacs à dos, les paniers, les jarres, les couvre-chefs, les ceintures, les pièges, les fourreaux de couteaux, les toits, les parois…

Gilbert Lascault

Vous aimerez aussi